Ni noirs, ni blancs, les enfants métis durant la colonisation belge

Ni noirs, ni blancs, les enfants métis durant la colonisation belge

C’est un chapitre de l’Histoire de la colonisation assez méconnu. Celui des enfants métis nés pendant la colonisation. Des enfants nés d’une relation entre un père belge et une mère congolaise, rwandaise ou encore burundaise. Assumani Budagwa les raconte dans un livre qui vient de paraître: Noirs, blancs, métis: La Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi (1908-1960).

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Les enfants de Save au Rwanda – Collection des anciens de Save (Evariste Nikolakis)

« J’ai 62 ans. Et ce n’est qu’en 2009 que j’ai découvert qui j’étais vraiment. Je suis retourné sur la colline où je suis né, au Rwanda. Et là, des vieux m’ont raconté mon histoire. Mon père était un entrepreneur belge. Il vivait au Rwanda avec son épouse, une Française, avec qui il avait déjà un enfant. Puis mon père a rencontré ma mère, une Rwandaise. Je pense qu’elle travaillait pour lui. Ensemble, ils ont eu trois enfants. Je suis le cadet. Mon père est mort, peu de temps après ma naissance, et du coup, sa première épouse a repris le pouvoir dans la maison et nous a mis maman et moi dehors ». Jeannot Cardinal, les cheveux bouclés, poivre et sel, a donc dû attendre plus de 50 ans pour savoir quelles étaient ses racines. Plus de 50 ans pour comprendre pour quelles raisons, sa peau était plus foncée que celle des autres, en Belgique. Plus claire que ceux qui l’entouraient, en Afrique. Son histoire, aussi singulière soit-elle, a la même trame que plusieurs milliers de métis, nés pendant la colonisation dans la région des Grands Lacs.

Les enfants métis comme un danger

Les enfants de Save au Rwanda

Scène de la vie quotidienne à Save – Collection des anciens de Save (Evariste Nikolakis)

Il n’y a pas de chiffres précis. Mais le chiffre de 20.000 enfants a été évoqué. Le phénomène prenait incontestablement de l’ampleur, à tel point que les autorités coloniales puis le gouvernement belge ont commencé à se pencher sur la question. On appelait alors ces enfants, des enfants mulâtres. Le terme vient de mulet, un croisement entre un âne et une jument. Cela donne une idée de la manière dont on les considérait. Ces enfants attisent la curiosité des puissances coloniales, comme a pu le constater Assumani Budagwa. Il enquête sur le sujet depuis plus de 20 ans. Et vient de consacrer un livre à ce sujet: « Dès la fin du 19ème siècle, plusieurs puissances coloniales prennent conscience du phénomène de métissage. Et elles s’organisent en congrès pour essayer de comprendre l’ampleur du phénomène et aussi pour commencer à étudier l’enfant né de l’union ou de ces mélanges de races. On les étudie presque comme on étudie les insectes : l’habitat, les types de maladies, le type d’alimentation qui leur convient etc… Et donc très vite, la plupart des puissances coloniales considèrent le métissage comme étant une menace aux intérêts coloniaux. Plus particulièrement, les métis sont considérés comme des dangers parce qu’il y a une ascendance européenne et une goutte de sang blanc. Cumulant disait-on, les tares des deux races, ils pouvaient être les ferments de révolte. Cette obsession qui considère les métis comme un danger provient essentiellement du Canada, notamment de Manutauba où un métis appelé David Riel a été un leader de mouvements de contestation des métis. Et depuis lors, on a commencé à considérer que tout enfant métis était porteur de ces germes de révolte ».

La ségrégation des enfants métis

Les enfants de Save au Rwanda

Le départ de Save vers la Belgique – Collections des anciens de Save (Evariste Nikolakis)

Il y avait donc cette méfiance. Les Belges décident alors de trouver une place à ces enfants pour qu’ils ne nuisent pas en quelque sorte à l’intérêt de la colonie ni au « prestige racial ». Ils décident donc de séparer ces enfants de leurs familles d’origine, la plupart vivaient avec leurs mères africaines, et de les rassembler dans des colonies scolaires créées spécialement pour les métis. Assumani Budagwa raconte : « des archives et des témoignages que j’ai consultés, il apparaît plusieurs manières de procéder. Il y a des endroits où ça a été brutal, où l’administration a envoyé des policiers dire : vous ramassez tous les métis que vous retrouvez et vous les ramenez au premier poste de mission. Il y a aussi des parents, des pères le plus souvent, qui, sentant que leur mission se terminait, ne souhaitant pas ramener leurs enfants en Europe, ont conduit eux-mêmes leurs enfants dans des centres d’accueil. On pense même parfois que leurs employeurs les y encourageaient. Il y a aussi de manière très sournoise des délégations qui étaient envoyées auprès des mamans pour leur dire : l’état voudrait récupérer les enfants des Bazungus, les enfants des Européens, pour leur donner une éducation et donc ne vous opposez pas à ce que votre enfant soit acheminé à tel ou tel endroit. Il y a aussi des cas où ce sont les missionnaires, avec la crédibilité qu’ils avaient, qui sont allés trouver notamment les mamans pour leur dire : on peut s’occuper de votre enfant, lui donner une bonne éducation dans un internat. Et les mamans ont cru de bonne foi que leurs enfants étaient pris en charge par le clan européen, le clan blanc de leur papa ».

L’institut des enfants métis de Save

Jeannot Cardinal a donc grandi au milieu de centaines d’autres enfants métis, à l’institut de Save, près de Butare, au Rwanda. Ce sont les Sœurs Blanches d’Afrique qui faisaient fonctionner le lieu.  » Dans les documents que j’ai retrouvés il y a 5 ans, il y a deux documents que maman a signé de son pouce, parce qu’elle ne savait ni lire ni écrire. Le premier disait qu’elle était d’accord que je fasse des études en Belgique. Le deuxième, que je pouvais être adopté en Belgique. J’imagine qu’elle ne savait pas ce qu’elle signait ». L’institut de Save a en fait une histoire particulière. A la veille de l’indépendance, les enfants qui y résidaient ont été expulsés vers la Belgique, souvent sans que leurs mères ne soient prévenues. «  Je me rappelle que les Sœurs Blanches nous ont dit : maintenant, vous allez partir au pays des pommes et des poires. Moi, je ne savais pas ce que ça voulait dire « .

En Belgique, certains de ces enfants ont été adoptés ou ont grandi dans différents centres et orphelinats. Jeannot dit avoir eu de la chance, il a été adopté par une famille et a vécu du côté d’Ypres. Même si sa différence était parfois difficile à porter : « J’étais une attraction touristique, il n’y avait pas encore beaucoup d’étrangers en Belgique. J’étais le seul qui avait une couleur ».

Pour ces enfants métis, aujourd’hui adultes, cette histoire est encore douloureuse. Pour Jeannot aussi :  » Ce manque d’identité, ce manque de maman, c’est quelque chose que tu as pour ta vie. Si tu n’as pas d’identité, c’est difficile. Qui suis-je ? Qui est ton père ? Tu te sens seul au monde. Maintenant j’en sais un peu plus et ça m’a apaisé « .

A.W.


« Noirs, Blancs, Métis, La Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi (1908-1960) », BUDAGWA ASSUMANI, éd. 2014. Infos sur www.congometis.be

Publié le 5 août 2014, dans BUJUMBURA News. Bookmarquez ce permalien. 11 Commentaires.

  1. Commentaire ya « Saverino » yanyarukiye ahatariho. Reka nsubiremwo, dabe ko yosohoka aho nari nayigeneye, niyo abanyamabanga bajejwe uru rubuga babigamburuka. Murakoze. Ntamwanya

  2. Ewe Saverino uzohava umera nka ca gikere cagize ivyizere birenze, hanyuma bikakibuza kumera umurizo. Iyo ETAT DE DROIT utwariza hejuru kandi ubona iyo wamijukiye, ukaba ubona n’ingene Imbonerakure na bene kuzigomora zaciye zifata les choses en mains, uyadukanye gute ? Ugomba kwibera muri DREAMLAND gusa ? Bonne chance mwe na ALICE AU PAYS DES MERVEILLES !

    Nta ETAT DE DROIT izobaho utabanje kwegereza ku Mukirakiziba kugira nawe ugire ijambo mu bandi. None abandi ba REFUGIES ba 1965 n’aba 1972, hamwe n’aba 1988 n’aba 1993-1996, hamwe n’Ibinyinanyina, n’abana babo n’abuzukuru, eka mbere n’ibisanira vya hafi na kure, ko abo boose bariko bitambira Warumperiki mu kibaba c’Inkona n’Imbonerakure, none wewe utabanje kubaza iguhe uzoshikirwa, mwe n’Aba SAUZA bawe, n’IMBONERAKURE ZAWE, wumva ukurota Uburundi bwa ETAT DE DROIT bizokumarira iki ?

  3. Cette histoire avait été montrée à la RTNB il y a quelques années. Une précision: la congrégation des « pères blancs » existe encore de nos jours; il ne s’agit pas des « pères jésuites » comme le dit CONTAHO. Mais, tout prêtre blanc n’était pas nécessairement dans cette congrégation.
    C’est visiblement la honte que des blancs ait procréé pour ensuite abandonner leurs propres enfants. S’agissant des « pères », donc des « prêtres », et pas nécessairement des blancs, sachons que le phénomène d’abandon des enfants existe encore de nos jours: des prêtres entretiennenet des relations secrètes avec des jeunes filles chrétiennes, surtout des cholistes; ces relations vont de temps en temps jusqu’aux relations sexuelles et de tempes en temps encore à la procréation; après avoir engrossées les pauvres filles, ils leur promettent monts et merveilles pour garder le secret, …., et les pauvres femmes violées par ces prêters ne savent pas qu’il s’agit d’un trompe-l’oeil. De tels enfants seront des « sans origines » comme Jeannot Cardinal. Quand j’y pense, je reste perplexe. LOLOLO.

    • Merci pour votre correction.
      Dans le noir, tous les chats sont semblables.

    • @ LOLOLO :

      Cintaho a raison. Les Peres Blancs sont une branche des Jesuites, specialises dans le rachat des esclaves d’Afrique Noire, afin de les baptiser (pas les convertir…ce serait trop complique…voire impossible) pour en faire soit des Chretiens, soit des Miliciens non-payes (comme les Imbonerakure), soit de la main d’oeuvre servile gratuite, soit les 3 a la fois. Les structures d’encampements etaient au debut appelees les EGLISES-CHAPELLES, en realite des domaines de production agricole a large echelle avec pour personnels cette main d’oeuvre servile rachetee ou « liberee » comme on dit. Le succes du phenomene Hutu est la resultante de ce business lucratif a terme, et le VIOL dont vous parlez avec « precaution » n’etait pas un phenomene marginal, mais un PLAN DE FABRIQUE DES ESCLAVES repondant aux directives du Maitre A Penser en la matiere : Sir WILLY LYNCH. Voir son celebre Discours de 1772 qui condense cette doctrine etrange qui edt en meme temps une THEORIE DU METIS que l’auteur du livre biographique en exposition ici a probablement eu l’occasion de parcourir et d’integrer dans son examen retrospectif.
      Conclusion donc : les Peres Blancs sont une section des Jesuites crees par le Cardinal Charles MARTIAL ALLEMAND LAVIGERIE, en 1882, a Alger. Rien que le nom vous indique a qui on a affaire, dans les moindres details.

  4. Je connais une vielle maman née de relations (viol?) entre un prêtre de la congrégation des Pères blancs et la femme de son boy. C’est une paysanne qui cache ses cheveux frisés avec son pagne. peut-êlle réclamer la nationalité belge et la prise en compte de sa nationalité?
    Merci vous tous de me suggérer que faire pour elle

    • je crois qu’elle devait rester ainsi,ces connards de blanc n’ont rien a lui offrir a part la haine et la stresse.mais si il connait le nom de son père je crois qu’elle devait s’adresser a la communauté des pères blanc pour qu’elle le prenne en charge

    • Monsieur Karikera,
      Ma suggestion:
      D’abord, renseignez-vous bien auprès de votre paysanne, ou auprès des vieux de son entourage quel était le nom exact (pas alias) de son prêtre-père, dans quelle mission (paroisse aujourd’hui) il officiait, puis orienter votre recherche vers la Congrégation des Pères blancs que vous évoquez.
      Je crois qu’ils se nomment actuellement des « Pères Jésuites », si ma mémoire est bonne.
      Une autre source qui peut être la mieux indiquée pour vous y aider, c’est probablement l’Ambassade de Belgique et le Ministère des Relations Extérieures, à condition que vous ayez des renseignements sûrs et preuves à l’appui.
      Associer aussi dans vos démarches un juriste chevronné serait un atout.
      Bonne chance.

  5. Métis, Métis… c’est quoi?
    Ils sont malins les colons.
    Au lieu de les appeler des “blancs noirs”, ils préférent les appeler des “métis”, comme s’il s’agissait de la “toile” dont la trame est en lin et la chaine en coton ou encore des mulâtres : croisements entre des ânes et des juments. Quelle méchancété.!!!!
    Non, assumez correctement votre paternité: ce sont des “belges noirs, des français noirs etc…etc… suivant les nationalités des procréateurs.
    D’ailleurs il faudrait les indemniser, car en ces temps de la colonisation, leurs mères ne s’appelaient pas encore des “noires” ou “africaines” vous essayez d’adoucir les mots par” honte” aujourd’hui, elles étaient des “nègres” comme vous les nommiez.
    Oui, Messieurs, vous avez fécondé vos nègres et dénaturé par conséquent votre race.
    Assumez vos actes.
    Ce sont vos enfants, traitez-les comme tels sans ségrégation.

  6. J’allais quitter momentanement votre « Centre de Censure », mais en lisant cet article si poignant, je me suis rappele l’histoire de mon ami « Safari » qui a vecu dans sa chair et dans sa vie ce genre de traumatisme irreversible quand il fut arrache des bras de sa mere par une None (Soeur blanche) alors qu’il avait 3 ans, et me revoici momentanement de retour.
    Merci, Assumani, pour ce livre tres important, qui n’ aurait sans doute pas plu a Senghor, le poete du Metissage Universel.

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